Vocabulaire du Scénario #1 : Le Deus ex Machina

Le scénario de Jurassic Park présente un exemple de Deus ex Machina

Tous les scénaristes le savent bien : s’il y a une erreur à ne pas faire dans un scénario, c’est d’y coller un « Deus ex Machina ». C’est vraiment la honte suprême, l’erreur de débutant : « Ha ! Ha ! Il a mis un Deus ex Machina dans son scénario ! Wah, le nul !… »

Alors, bon, c’est vrai que le « Deus ex Machina » est une maladresse qui trahit souvent l’auteur débutant mais il est loin d’être aussi fréquent que certains voudraient nous le faire croire et, surtout, il n’est pas nécessairement à bannir absolument car il arrive qu’il soit bien utilisé.

Origines

D’abord qu’est-ce que c’est exactement que ce « Dieu sorti de la Machine » ? A la base, comme chacun sait, c’était un effet spécial du théâtre grec antique : grâce à un système de poulies, on donnait l’illusion qu’un personnage descendait du ciel pour arriver sur scène, et ce stratagème était souvent utilisé – par Euripide notamment – pour faire apparaître un Dieu à la fin de la pièce pour sauver in extremis le ou la protagoniste.

C’est le cas, par exemple, dans Iphigénie d’Euripide, où la jeune femme, sur le point d’être sacrifiée, est sauvée in extremis par la déesse Artémis qui apparaît subitement. Voilà. Le Dieu dans la Machine, c’est ça. Ça peut paraître ringard aujourd’hui mais, en fait, c’est un phénomène culturel : à l’époque les gens croyaient réellement dans la capacité des Dieux à intervenir dans le destin des hommes. De plus, la critique de cette technique n’est pas non plus l’apanage de l’homme moderne « évolué » puisqu’un autre dramaturge de l’époque, Aristophane, grand amateur de parodie, se moquait déjà de cette technique considérée comme une facilité d’écriture.

Évolution du Concept

De nos jours, on ne croit plus en la capacité des Dieux à se manifester parmi nous donc la notion de Deus ex Machina a évolué : désormais, on considère comme un Deus ex Machina, les cas où le protagoniste est sauvé in extremis par un « heureux hasard ». Mais tout comme le Deus ex Machina de l’époque, ce n’est pas une erreur aussi grossière qu’on peut le penser car, de nos jours, nous croyons à l’influence majeure du hasard dans nos vies, tout comme les gens de l’Antiquité croyaient à l’influence des Dieux. Aujourd’hui, si on naît riche ou pauvre, c’est le Hasard. A l’époque, si on naissait riche ou pauvre, c’était le Destin, donc la volonté des Dieux.

Toutefois, cette notion de Hasard nous renvoie au programme de mathématiques de terminale et à la notion de probabilité. Pour être crédible, en effet, une fin d’histoire qui fait intervenir le hasard ne doit pas donner l’impression qu’il y avait une chance sur un million pour que cela se produise. Par exemple, dans le film de Disney Kuzco l’Empereur mégalo, nous avons un Deus ex Machina volontaire et humoristique : la méchante vient de s’emparer de la fiole de pouvoir et lance un rire diabolique quand soudain une trappe s’ouvre dans le mur et vient l’écrabouiller. Le personnage du benêt qui vient d’ouvrir la trappe se demande alors : « Heu… Quel était le pourcentage de chance que cette trappe débouche ici ? » L’intention est clairement parodique.

Mais bref, pour le dire en peu de mots : on a parfaitement le droit de faire intervenir le hasard à la fin d’un récit (tout comme les anciens avaient le droit de faire intervenir un Dieu), du moment que cela reste du domaine du probable donc du crédible et / ou de la parodie humoristique.

Définition

Aujourd’hui donc, nous avons tendance définir, à la suite d’Yves Lavandier, le Deus ex Machina comme un « événement inattendu et improbable qui vient régler les problèmes du protagoniste à la dernière minute ». J’ai mis le mot improbable en gras car c’est bien cette notion de probabilité qui est la clé du problème, le critère ultime qui doit nous permettre de décider si nous avons ou non à faire à un vilain Deus ex Machina ou non.

Quelques exemples

Prenons maintenant quelques exemples. On considère souvent le dénouement d’Indiana Jones et les Aventuriers de l’Arche perdue, comme un cas typique de Deus ex Machina. En effet, c’est un des rares films contemporains où un Dieu (le « Saint Esprit ») intervient directement pour sauver les protagonistes, comme au bon vieux temps. Sauf que cet événement n’a rien d’inattendu et d’improbable. En effet, depuis le début du film on nous explique que cette arche d’alliance est une arme redoutable de destruction massive et que ce serait une catastrophe si elle tombait aux mains des Nazis. D’ailleurs, c’est tout l’enjeu du film : Indiana Jones veut trouver l’Arche d’alliance avant les Nazis pour sauver le monde. Malheureusement, il échoue et, à la fin, les Nazis s’emparent de l’Arche, l’ouvrent et… se font massacrer par l’Esprit Saint ! Ce qui est une surprise, c’est que l’Arche se retourne contre les Nazis mais pas son pouvoir de destruction puisque c’est tout le propos du film : si tout le monde court après l’Arche, c’est précisément parce qu’elle est réputée être une arme redoutable !

De plus, quel était le pourcentage de chance que Dieu se retourne contre les Nazis au final ? 10 % ? 50% ? Eh bien non c’est 100 % bien sûr : quand on y pense, Dieu ne pouvait pas être du côté des Nazis évidemment. Donc, sur le moment, on est surpris, comme dans tout bon film qui se respecte. Mais quand on y repense après coup, on se dit que ça se tient et que c’était logique. Cette fin n’a rien d’inattendu ni d’improbable, dans l’univers du film. Donc nous n’avons pas ici à faire à un Deus ex Machina au mauvais sens du terme.

Autre exemple, toujours de Spielberg mais beaucoup plus simple : à la fin de Jurassic Park, les deux enfants ont enfin réussi à enfermer les deux vilains Raptors dans la chambre froide et à retrouver les adultes dans la grande salle : ils sont sauvés ! Ils vont enfin pouvoir rejoindre l’hélicoptère et s’échapper de l’île. Mais là, ho ho ! Quatre nouveaux Raptors font irruption dans la salle et les encerclent. Et là on se dit que c’est foutu. Ils sont à découvert et ils ont tellement galéré à échapper aux deux autres qu’on ne voit pas comment ils vont pouvoir s’en sortir. Mais soudain, le toit du bâtiment vole en éclat, arraché par le grand Tyrannosaure majestueux qui pousse un rugissement et engloutit d’un coup deux Vélociraptors tandis que les autres s’enfuient. Heureux hasard ? Certes. Deus ex Machina ? Pas si sûr.

En effet, pendant tout le film, on a vu que l’île est en proie au chaos : tous les dinosaures sont sortis de leurs enclos et passent leur temps à s’entre-tuer. Donc ce n’est pas tellement surprenant, quand on y pense, que les Raptors se fassent à leur tour attaquer par un autre prédateur. D’autant que ce T-Rex ne sort pas non plus de nulle part : nous avons déjà fait sa connaissance alors qu’il traquait le professeur Grant et les enfants pour tenter de les dévorer. Bref, cette fin est surprenante comme toutes les bonnes fins mais elle reste crédible dans l’univers du film car elle a été préparée. Qu’un Tyrannosaure attaque des Raptors au moment où ceux-ci allaient dévorer des humains reste du domaine du probable dans un monde voué au chaos où des clones de dinosaures se sont échappés de leurs enclos.

Conclusion : il y a des fins plus maladroites

Enfin, pour finir, il faut faire remarquer qu’il y a des fins maladroites qui mériteraient davantage le titre de Deus ex Machina que les exemples précédemment cités. Par exemple, dans le film Gremlins, le jeune héros a réussi à éliminer tous les méchants Gremlins en mettant le feu à la salle de cinéma où ils s’étaient réfugiés mais le chef des Gremlins a réussi à s’échapper et le héros l’a poursuivi jusque dans la galerie commerciale. Et c’est maintenant le face à face final : le chef des Gremlins se tient debout sur le bord d’une fontaine et s’apprête à sauter dans l’eau, ce qui lui permettra de générer une nouvelle armée de Gremlins. Tout semble donc perdu quand soudain Gizmo, la gentille peluche qui a donné malencontreusement naissance à tous ces vilains Gremlins, surgit au volant d’une voiture télécommandée, saute sur un tremplin et fracasse la vitrine, faisant entrer le soleil qui tue le chef des Gremlins.

Ce sauvetage du héros par Gizmo n’est apparemment pas un Deus ex Machina puisque Gizmo est l’allié du héros depuis le début du film et ce n’est pas totalement inattendu car on sait qu’il est venu avec le héros dans la galerie commerciale. Ce qui est une surprise, en revanche, c’est son changement d’attitude. En effet, pendant tout le film Gizmo est un personnage passif qui passe son temps à gémir et à trembler dès qu’il voit un Gremlins. Et donc ce revirement soudain où on le voit foncer à bord d’une voiture télécommandée pour attaquer le chef des Gremlins n’est absolument pas crédible du point de vue de l’univers du film. Cela n’a pas été préparé. A aucun moment nous n’assistons à la métamorphose du craintif Gizmo en courageux Gizmo. Nous pourrions donc ici parler d’un « Deus ex Machina psychologique » ou plutôt disons que nous n’avons pas ici à faire à un « Dieu sorti de la Machine » mais à un « Héros sorti de la Peluche » : le personnage manifeste subitement des qualités et des capacités dont il semblait jusque-là dépourvu. Personnellement, je trouve que c’est ça la vrai maladresse dans un scénario. Cela paraît, en tout cas, beaucoup plus improbable qu’un dinosaure qui attaque des dinosaures dans un monde de dinosaures.

Benoît Connin
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